Solitude sociale

vendredi 30 avril 2010
Un malaise, des mélèzes. En société, sourire craqué. La barrière des gens, la clôture de l’autre, le filtre sentimental, l’honnêteté tamisée en grains de solitude regrettée. Elle valse dans la foule comme la brise du désert, une dune érodée de bonnes intentions. Dans le cou où dans le coin, dans la boue où dans le foin, dans le vide où dans le trou, lucide ou bien fou? Je surf sur la vague de sa couette ensoleillée, éperdument perdue dans l’abysse de son regard. Tous flous sauf un, illuminé par le rire timide de Chronos qui s’en moque. Elle marche à tâtons, palpe l’air de son ombre fuyante et construit le confort dans la chaumière de son âme.


« la poésie, c’est beurrer un pouce de nutella sur ses toasts le matin »


« je suis Page 53! »

Azimut et bifurcation de l'esprit

mardi 27 avril 2010



J’avais une job à faire. J’avais une direction à suivre. Trois cent cinquante-neuf degrés, trente-sept minutes, dans une forêt honnête de bois franc sans équivoque (fait changement de la vie sociale humaine). Vieille clôture à trouver sur une terre au relief des plus typiques du bouclier canadien : un paysage très accidenté où les longues pentes abruptes qui nous tordent les mollets comme de la tire de la Sainte-Catherine font la loi sur le promeneur. Poteaux de cèdre pourris depuis tellement d’années que certains érables ont bouffé tout rond le barbelé qui, à l’époque les gardait réunis, vestige ancestral d’une territorialité naturelle, mathématisée en angles droit sur un territoire que seuls les chasseurs, les bûcherons et les arpenteurs fréquentent.

Neuf heures, soleil déjà chaud pour le mois d’avril, je m’engage dans cette quête à la fois inutile et intrigante avec la lassitude de l’avoir déjà fait une centaine de fois. À partir du fossé, 359°, 37 ', je vois encore des chalets, quelques carcasses de voitures, du ruban orange sur une branche et un petit sentier. J’avance, jalon et GPS à la main et, une centaine de mètres plus loin, je suis seul. Plus d’humain ni de sa trace, plus de sente, plus de face, juste cette futaie imperturbable et vivante qui me fait prendre conscience du fait que je ne suis pas seul mais bien seul de ma race. « Mais quelle prétention, petit homme, que de croire en sa propre suprématie, ne vois-tu pas que nous ne faisons qu’un? ». Ça y ait, j’entends des voix, ces mêmes voix qui sont celles des grands sages errant paresseusement dans ma conscience depuis des années (ou bien est-ce les arbres?).

359 °, 37 ', quelques poteaux gisant sur le sol, abattus par le temps. Ils semblent porter en eux quarante ans de vie sauvage, quatre décennies d’évolution naturelle parfaitement imparfaite. Je suis un étranger avec mes instruments de haute-technologie. Ils me semblent ridicules tout comme moi, mes pensées et ma raison. Je progresse en droite ligne et croise un ruisseau, petit, candide. En perpétuel changement, il reste le même et m’envoie des clins d’éclats de soleil qui laissent deviner sa volonté passive de retrouver une connivence perdue mais moi, pauvre idiot égaré dans la rigueur de mon travail, je ne comprend rien. La droiture de ma randonné m’éloigne de lui (comme si je n’en étais pas assez loin!) et bientôt, je n’entends plus son existence aqueuse flirter avec celle, immobile et minérale, des cailloux qui ornent le fond de son lit.

359 °, 37 ', quelques résineux isolés, dominés par les grands chênes et les érables. Le sol devient mou et gorgé d’eau et j’entends la succion de mes bottes qui s’en arrachent lourdement à chaque pas. Un pic martèle avidement le tronc rigide d’un arbre. Un être vivant et mouvant, frénétique, flamboyant, punk et voleur. Il me scande une crise orgueilleuse qui fait spasmodiquement sursauter le coin de mes lèvres. Je réalise la communication subtile, cette relation tangible que nous, humains refusons d’admettre à cause d’une puéril et vétuste fierté. Je prends conscience de l’illusion du sentiment d’être séparé du reste, d’avoir la nature à nos pied, l’erreur de la prendre pour acquise alors que nous ne sommes que des passagers sur cet immense vaisseau qui ne dépend nullement de nous pour exister. Délicatement, je me fonds, je m’efface, je m’oublie, je souris. Paradoxalement, je me souviens, je me retrouve, je respire la brise réconfortante de cette liberté nouvelle, je suis en sécurité, maintenant et à jamais, je suis chez moi.

359 °, 37 ', je m’arrête un instant pour examiner l’imposant fût d’un chêne qui vit exactement sur ma trajectoire. Je contemple ses blessures, ses balafres où se trouvait des branches et qui maintenant prennent des formes d’yeux et de bouches horrifiés, surpris et figés dans le temps. « Est-ce qu’on encastre dans le bois dur l’âme des hommes présomptueux, l’âme éblouis des hommes leurrés par leurs propres esprits? Est-ce qu’un jour ce bois franc sera franc du mensonge des hommes, est-ce qu’un jour les hommes s’affranchiront du joug fascinant de leurs constructions mentales? ». (J’ignifuge mon égo d’extase fusionnelle et j’enflamme mon corps de rock phlogistique.)

359 °, 37 ', une cabane à sucre, une sente, des rubans, des traces d’homme. Je ne suis pas triste. Je me réjouis d’être plus, d’être plus qu’un humain, d’être de l’être comme ce chêne, ce pic, ce ruisseau, le soleil et le vent. Je n’ai plus de réflexions, plus de questions morales, plus de décisions à prendre, « est-ce qu’on met une trombone dans le haut de la page? Est-ce que j’ai fait une erreur? Est-ce que j’ai eu tort d’agir ainsi? Que dois-je faire? ». Je vis, je goûte, je sens, j’entends. Je baise la vie terrestre comme je baise ma blonde : parce que je l’aime. Je préfère faire l’amour à la vie que de me masturber devant l’absolu, froid et sans relief comme la page d’une revue pornographique. Ça y est, je flotte, je plane, j’erre en ligne droite sur l’azimut de mon évolution. Mais voilà que j’arrive au bout, je change de direction, je bifurque, perpendiculaire à mon nom, je reprends la route, le sentier que je redoute.

quatre-vingt-neuf degrés, trente-sept minutes…





Ciel bleu et omble gris

lundi 26 avril 2010

Sept heures et demi, air frais, soleil chaud, lac miroir. On met la chaloupe à l'eau pour la première journée de pêche de l'année. Nouveau partner, fiable, à l'heure et taciturne, tout ce que j'espère d'un compagnon pour leurrer ce roi des profondeurs. Roi ou reine? Omble gris, truite grise, touladi, après une vingtaine de minutes de traîne je m'écris :"j'en ai une!". On la hisse à bord du bateau, la mesure et la pèse: quarante-deux centimètres et deux livres et demi. Par orgueil masculin, je retient la joie d'avoir pris la première grise de ma vie. Je l'observe, pleine d'éclats visqueux et de nuances sur sa peau. Je l'imagine dans son habitat, à plus de cinquante pieds dans l'eau glacée, rôdant avec ses pairs à la recherche de nourriture. Ce qui me fascine le plus, c'est qu'à ce moment, je la tient hors de l'eau, dans mon habitat. Elle est comme le symbole d'un lieu que je ne verrai jamais, d'un endroit hostile à l'homme et grâce à mon intelligence et celle des innombrable pêcheurs qui m'ont précédés, je l'extrais de son monde, comme un rêve que l'on remonte à la conscience par la psychanalyse ou la drogue.

J'ai pêché un rêve et il gigote pour retourner d'où il vient.

"Time is a slippery fish now"

Rose bleue

jeudi 8 avril 2010
Notre amour est une biche féline qui fuit le bonheur à grand galop d'effrois et de craintes. Il redoute les yeux du loup et les crocs de l'homme, tapit, oreilles surexcitées, dans sa tanière creusée à même la colère et l'indifférence. Prudemment taquin sous une lumière blanchissante, il gambade à travers le champ de mines des heures qui passent. Il rayonne, s'assombrit, éclate puis rayonne à nouveau. "Après la pluie vient le beau temps", après l'amour vient le néant. J'aime exister. J'aime vivre. Je t'aime à travers un sombre, puéril et archaïque fouillis de regret et de culpabilité.
Mais, tel une outarde sur la pointe du grand V, j'avance aveuglément, guidé par le magnétisme de ton coeur.
Mélodie de chair, beat de peau, rock érotique, un souffle en feed-back résonne et augmente, émanant de tes deux speakers qui m'hypnotise, doux et chaleureux. Mon volume grimpe jusqu'à la distorsion de mes sens qui pointent laser vers un frisson-vertige spirituel, une dépersonnalisation en tandem. Je me branche à toi et te fais l'oeuvre de ma vie soir après soir, l'ultime, la seule, comme si c'était la dernière (et en fait, elle l'est puisque chaque matin nappé de tes sourires onctueux est comme le début d'une nouvelle vie, un dessert cochon et crémeux de l'existence).
Elle se cure l'épiderme avec des fleurs et des chansons
me réveille au petit matin de ma vie
je l'étreins de gratitude, de désir et d'édredon
comme la paie d'un cycle fin béni

Utopie

Le plafond craque, les murs s'effritent mais les fondations restent intact bébé. Ce sont les fondations de notre palais, ce château que l'on construit avec nos larmes et nos sourires, ce monument qu'on érige en hommage à la vérité, la grande érection de nos âmes purifiées.

Je le vois ce monde, cet univers, ce milieu sain et évolué où nous, êtres humains, vivrons un jour dans la plus total joie et la plus candide pureté de nos intentions. Je la sens, cette expérience impliquée, ce périple doux et vertigineux dans l'espiègle orage du souffle de l'être. Je la flaire, cette paix du coeur, comme la promesse d'une rivière qui évolue en restant la même, comme les mots doux d'un train qui déraille. Je la goûte, cette larme nostalgique de sa propre existence, la saveur amère d'une foule sans rumeur, l'odeur sincère d'un cul-de-sac à priori. Je l'entend, cette honte d'avoir choisi le mauvais sentier, la grande pulsion de s'évader, la sensation de ne pas exister. Je la devine, cette angoisse du changement, cette peur d'un nouveau vent, ce mépris général du simple et pauvre mais riche et complexe vrai.

-Au nom de vous et de moi, j'augmente la distorsion de mon ampli. Je rugi et ma guitare tue les mensonges! Feed-back rouge, têtes qui tombent sur les touches d'un piano, coup de snare sur la gueule, je vous aime de toute ma colère!

Sooooolooooo tabarnak! Aweille Gontrand, vit, joue, explose, pète des cordes, prend ta pof, boit ta gorgé pis pleure et cri comme l'espoir d'une aurore inévitable. Provoque le volcan, déclenche l'avalanche, défriche le layon, tiens la bête en joue, éveille le gibier. Ouvre, déchire, inhume. Assassine pour mieux donner naissance.

...et bourgeonnent les arbres chauffé par un printemps hâtif.
 

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